Quelle place pour les femmes dans la création ?
La fabrique des récits by Sparknews et Christie’s ont organisé le 15 juin 2021, un rendez-vous inédit pour valoriser la place capitale des femmes dans l’Art et la Culture et découvrir les initiatives qui sont aujourd’hui mises en œuvre dans différents secteurs artistiques, pour faire bouger les lignes.
Sandra de Bailliencourt (DG de Sparknews) et Julien Pradels (DG de Christie’s) ont introduit cette soirée qui était diffusée en direct depuis l’exposition présentant les oeuvres de la vente Women in Art organisée par Christie’s le 16 juin 2021.
Léa Bloch et Alice Chevrier, expertes de la maison, nous ont ensuite présenté quelques œuvres de cette première vente aux enchères consacrée exclusivement aux femmes artistes en France, du XVIème siècle à aujourd’hui. Elles nous ont notamment présenté la toile de Hayv Kahraman, la nana de Niki de Saint Phalle, les robes de Madame Grès, l’étude de textile de Sonia Delaunay ou encore le dessin de Pénélope Bagieu qui sont autant d’illustrations de cette créativité au fil des siècles.
La journaliste Margaux Brugvin, spécialisée sur cette question de la place des femmes dans l’Art, a ensuite animé une table ronde à ce sujet. ,
Le premier acte de cet échange avait pour objectif de revenir sur l’évolution de cette place au fil des siècles, en présence de Camille Morineau, historienne de l’Art, ancienne conservatrice au Centre Pompidou et fondatrice d’AWARE. Elle nous a notamment expliqué que :
« Les femmes artistes ont toujours créé mais on ne les a pas reconnues dans leurs créations. C’est très étonnant de constater que, de leur vivant et dans leur siècle, les femmes ont été beaucoup plus nombreuses qu’on ne le croit. »
Camille Morineau a également précisé que les femmes ont été freinées dans leur capacité à inventer, et invisibilisées, de sorte qu’il est compliqué, même à l’heure actuelle, de retrouver leurs expressions artistiques pour les replacer au centre de l’histoire. L’exposition Elles@centrepompidou, dont elle a eu la charge, consistait justement à montrer que les femmes artistes ne sont pas des exceptions et que l’on peut écrire l’histoire artistique du XXème siècle uniquement avec elles. L’historienne a d’ailleurs expliquée que si les œuvres de Picasso sont si chères aujourd’hui, c’est parce grâce aux nombreuses monographies et rétrospectives qui ont été publiées à son sujet :
« Son poids monétaire et financier est équivalent à l’information qui a été publiée sur lui. Si on publie autant d’informations sur les artistes femmes, elles vaudront autant que les hommes. »
Cette démonstration par le nombre de la créativité des femmes a ainsi pour objectif d’enclencher un basculement vers une histoire de l’Art paritaire, afin de réhabiliter la mémoire des femmes artistes à travers les siècles.
La seconde partie de cet échange avait pour objectif de faire témoigner des acteurs engagés dans le secteur artistique, pour valoriser les femmes artistes.
Antoine Monin, directeur général de Spotify France-Bénélux, a ouvert le bal et est revenu sur la place des femmes dans la musique, encore trop peu représentées dans ce milieu : 20% des top artistes qui ont le plus de succès sont des femmes.
« Ce n’est pas un problème de sous-représentation seulement, c’est aussi un problème à la source. Il n’y a pas assez de femmes qui entreprennent de devenir artistes-musiciennes. […] Il y a un vrai sujet d’accès à ce métier et un manque de modèles. »
Afin de faire face à ce problème, l’entreprise suédoise a créé le programme Equal mettant en avant uniquement des artistes-musiciennes femmes. Antoine Monin a détaillé ce programme et précisé les actions menées afin d’accompagner et d’inciter les femmes à entreprendre dans les diverses carrières musicales (programme de mentorat, ateliers…), convaincu que les politiques volontaristes sont nécessaires pour faire bouger les lignes.
Anastasia Mikova, co-réalisatrice du film Woman avec Yann Arthus-Bertrand, a apporté son retour d’expérience sur la place des femmes dans le cinéma en indiquant qu’une très grande majorité des métiers dans ce secteur était occupés par des hommes. Afin de contrer ce phénomène, Yann et elle, ont décidé de s’entourer d’une équipe presque entièrement féminine pour réaliser ce film documentaire donnant la parole à 2000 femmes dans 50 pays différents.
« Une fois que les femmes parlaient, c’était hallucinant. C’est comme si la plupart de ces femmes avaient attendu ce moment toute leur vie. Comme si toutes ces choses qu’elles avaient gardé en elles pendant si longtemps, parce qu’il n’y avait pas d’écoute, pouvait enfin sortir. »
Selon Anastasia, ce n’est pas la parole qui s’est libérée, c’est la capacité d’écoute qui s’est réveillée. Avant quand une femme parlait, elle était très seule, tandis que maintenant lorsqu’une femme prend la parole beaucoup la soutiennennt.
Inès Geoffroy, chargée des expositions à La Villette, est ensuite intervenue sur la question du choix des artistes mises en avant dans les programmes artistiques.
« Cela fait 4-5 ans que l’on se pose la question de la parité dans la programmation. Avant on ne se demandait jamais s’il y avait assez de femmes. »
Cette question a amené les intervenants à se poser plus globalement celle de l’essentialisation, (le fait de réduire un individu à une identité figée : celui d’être femmes, homosexuelle·…).
Inès a ainsi expliqué au sujet des jeunes artistes racisé·es, qu’ils sont souvent pris entre deux extrêmes : leur milieu et le monde de l’art. Selon elle, la société attend d’eux qu’ils racontent les traumatismes qu’ils ont vécus pour en faire une valeur ajoutée, ou au contraire, qu’ils lissent leur propos afin de le rendre plus complaisant.
« Je pense que c’est essentiel de ne jamais enfermer un être humain dans des cases qu’il doit remplir. »
C’est sur ces mots d’Anastasia, que s’est terminée cette soirée constructive visant à valoriser la place des femmes dans la création.