Repenser les communs en temps de Covid-19
Chez Sparknews, nous croyons que les temps de crises, comme ils balaient nos certitudes, sont également de belles opportunités pour nous adapter et repenser nos rapports au monde. Pour une équipe qui tente de faire émerger de nouveaux récits pour accélérer la transition écologique et sociale, nous nous devons d’interroger quels récits germent de cette catastrophe planétaire qu’est le CoVid-19. Dans la #SparkMinute de cette semaine, nous nous intéressons aux communs à travers de belles initiatives locales, des exemples d’entreprises qui s’engagent et repensent leurs modèles et des prises de positions qui nourrissent nos imaginaires.
La fin de la propriété privée exclusive ?
Quand les organisations s’engagent
Confronté·e·s à un télé-enseignement précipité et à des environnements numériques de travail (ENT) surchargés, les enseignant·e·s français·e·s se sont tournés vers Zoom, Google Drive, WhatsApp ou encore Discord. Ces outils posent question quant à l’usage des données personnelles de leurs utilisateurs. Début juin, le ministère de l’éducation nationale a déployé la première version d’Apps.education, une plate-forme d’outils numériques, composée de logiciels gratuits, respectueux de la vie privée des utilisateurs et dont le code est ouvert et vérifiable par tous. Découvrez cet article du Monde pour en savoir plus.
90 % des variétés agricoles traditionnelles ne sont plus cultivées alors que les semences inscrites au catalogue officiel, et donc commercialisées, sont la propriété d’une poignée de multinationales dont Monsanto. Fin 2019, Open Source Seeds a lancé la campagne « pain libre ». Deux exploitations agricoles , une minoterie, ainsi que plusieurs boulangeries berlinoises se sont rassemblées pour protéger tous les ingrédients de ce pain par la Licence Semence Libre. Autre victoire récente à découvrir dans We Demain : depuis le 11 juin, les paysan·ne·s peuvent légalement vendre des semences non-inscrites au catalogue officiel aux jardinièr·e·s amateurs.
Même avec des paillasses difficiles d’accès, la science participative n’a pas dit son dernier mot. En pleine crise du coronavirus, la plateforme à but non lucratif Just One Giant Lab (JOGL) a lancé OpenCovid19. Zach Mueller, David Cong, Kat Holo et Thomas Landrain ont imaginé ce rassemblement de passionné·e·s, professionnel·le·s ou non, pour mettre au point des innovations requises à moindre coût comme des tests de détection ou des pousse-seringue. Le fruit de leur coopération est ensuite en open source, avec une licence permissive, et peut donc être utilisé par tout le monde, y compris dans un cadre commercial. En deux semaines, 4000 personnes issues de 120 pays s’y sont inscrites. Aujourd’hui, le programme compte toujours mille membres très actifs. A lire dans Uzbek & Rica.
Initiatives locales contre désordre global
2,2 milliards de personnes vivent sans accès à l’eau potable dans le monde. Au cours d’une crise où se laver les mains était obligatoire, celles et ceux qui veulent faire reconnaître l’eau comme bien commun ont mis en exergue les loupés de la privatisation des services de fourniture d’eau potable. En France des associations se sont mobilisées avec l’installation de points d’eau en urgence. Au Chili, l’association Modatima a déployé en urgence une campagne pour récolter des fonds et livrer deux bidons de six litres d’eau par personne dans les zones rurales les plus atteintes par la sécheresse et le manque d’eau selon Reporterre.
Proche de l’exemple historique des pâturages anglais gérés de façon collective avant d’être transformés en propriétés privées délimitées par des clôtures, les jardins partagés ont la côte. Dans le XXe arrondissement dans le nord de Paris, le jardin partagé Soleil Blaise permet aux habitant·e·s de se nourrir du fruit de leur récolte d’après ce reportage de RFI. À Nantes, une cinquantaine de sites, représentant au total 25 000 m2, ont été choisis pour devenir des potagers pour aider des familles en difficulté selon Ouest-France. Pour aller plus loin, le mouvement Nyéléni pour la souveraineté alimentaire a lancé en juin un guide pratique pour soutenir les luttes pour la terre des petits producteurs et des communautés locales.
Autre maillon de la chaîne alimentaire en commun, les épiceries collaboratives. Ces structures proposent aux membres un juste équilibre entre le coût d’achat et le prix de vente. En échange, les adhérent·e·s de l’épicerie doivent consacrer quelques heures toutes les quatre semaines à la gestion et au bon fonctionnement du supermarché. Dans le 9ème arrondissement parisien, l’association Les voisins du 9ème est en train de lancer un projet de supermarché coopératif en acquérant le fond de commerce de feu Terra Gourma, son stock, et son mobilier. Une offre de reprise a été déposée auprès de l’administrateur judiciaire fin mai grâce aux 29 190 € récoltés auprès de 152 adhérent·e·s.
Et si on imaginait plus loin ?
Dans une tribune pour Libération, l’historien Timothée Duverger, le chercheur en philosophie Sébastien Claeys, et le professeur de littérature Florent Trocquenet-Lopez développent la thèse selon laquelle le convivialisme serait une philosophie politique pour le «monde d’après». Ils s’appuient sur le Second manifeste convivialiste, signé par 300 intellectuel·le·s et paru chez Actes Sud, un ouvrage consacré à l’impératif de limitation accompagné de cinq principes : commune humanité, commune naturalité, commune socialité, légitime individuation et opposition maîtrisée. Attaquant le néolibéralisme qui a constitué le lit de la crise sanitaire, ils observent “la haine des communs” comme l’un des maux qui s’est révélé avec le coronavirus. En réponse, ils proposent la construction d’une société écologique et solidaire partageant un fond idéologique minimal : le convivialisme. Une société du communs également défendue par l’économiste Hervé Defalvard dans cette tribune au Monde. À lire ici et ici.
Quels sont les interactions entre communs et institutions politiques, que ce soit au niveau des États, des grandes villes ou des régions ? Alors que les exemples se multiplient en Bolivie, en Équateur, en Espagne, en Grande-Bretagne, en France ou en Italie, le risque de commons washing grandit. À l’occasion du Forum Social Mondial et du Forum mondial de l’économie sociale GSEF à Montréal en août et septembre 2016, Remix Biens Communs a réalisé un reportage d’une vingtaine de minutes, interrogeant celles et ceux qui se sont lancés dans l’aventure collective. Des exemples plus récents sont à trouver dans cette mission d’étude sur les communs urbains de Montréal et Barcelone menée par Cities et Solon Collectif ainsi que dans la recherche-action Coopérations, ouverte aux contributions, initiée par Michel Briand qui documente les postures et les compétences pour favoriser le développement de communs. À regarder ici.
Chaque semaine, la minute Spark c’est une invitation à découvrir les initiatives face à la pandémie qui nous inspirent mais aussi nous permettent de réfléchir à l’après. Nous sommes persuadé•e•s que cette crise renferme de précieux enseignements sur notre système économique mondialisé. Qu’il s’agisse d’éducation, de solidarité, de rapport au travail ou au vivant, à nous de refuser de revenir au statu quo une fois la crise sanitaire passée. Découvrez les éditions consacrées à l’éducation, l’énergie, le travail, l’alimentation, la biodiversité, la démocratie, les biorégions, le genre, la solidarité, l’économie circulaire et le temps.