Au Sénégal, les ostréicultrices harmonisent leurs pratiques avec la mangrove
Reboisement, nouvelles pratiques agricoles… Les groupements de femmes du delta du Saloum prennent conscience de la nécessité de protéger la forêt amphibie, dont elles tirent l’essentiel de leurs revenus.
Par Théo Du Couëdic, pour En Quête de Demain
Commune de Joal Fadiouth, 120 kilomètres au sud de Dakar. Une tête dépasse au loin dans les eaux salées bordées de mangrove. L’homme nage discrètement en direction de palétuviers regorgeant d’huîtres. Face au tonnerre de protestations qui retentit de l’autre côté de la berge, le coquin disparaît aussi vite qu’il est apparu dans le chenal. « De toute façon, s’il avait voulu voler nos huîtres, il se serait fait attaquer par nos abeilles, nos ruches se situent juste derrière », s’amuse Bintou Sonko, la présidente du groupement Mboga Yaye (soit « issues de la même mère » en wolof, la langue la plus couramment utilisée au Sénégal), qui regroupe 70 femmes.
Dans la biosphère du delta du Saloum, au centre-ouest du Sénégal, les femmes tirent l’essentiel de leurs revenus de la collecte de coquillages et ce de longue date, alors que les hommes pêchent traditionnellement en mer. Face à la raréfaction d’huîtres sauvages, elles ont dû s’adapter.
Ces cinq dernières années, les femmes de Mboga Yaye en ont profité pour entamer une petite révolution. Elles ont changé leurs pratiques ostréicoles pour mieux préserver l’environnement – via l’élevage d’huîtres locales à l’aide de guirlandes de coquilles immergées, l’utilisation de pochons flottants pour les faire grossir ou encore l’installation de parcelles de repos biologique.
Apiculture, construction et commercialisation de fourneaux naturels, transformation de produits locaux comme le bissap, le baobab ou l’huile de moringa… Elles ont également diversifié leurs activités, pour accroître leurs revenus et ainsi subvenir aux besoins de leurs familles. Leur tenue ? Des boubous qu’elles n’hésitent pas à immerger dans l’eau saumâtre, notamment lors de vastes campagnes de reboisement, menées à marée basse.
« Nous sommes soudées, il y a beaucoup de veuves parmi nous, mais aussi des femmes dont les maris ne touchent pas de salaire. On travaille du matin au soir. Une partie de l’argent qu’on gagne est réinjectée dans notre unité de transformation et dans l’achat de matériel ; tout ce qu’on veut, c’est être autonomes », explique l’énergique Bintou Sonko, 52 ans, qui nous accorde cinq minutes, entre la préparation d’un thiéboudiène (le plat national sénégalais, inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco), la réception d’une délégation de l’Union Européenne, la prière de 16 h ou encore la mise en sac d’une commande de bio charbon de paille.
La quinquagénaire a récemment formé 200 femmes dans les îles du delta du Saloum à de nouvelles pratiques ostréicoles, après avoir elle-même suivi une formation en France, au bassin de Marennes-Oléron, en Charente-Maritime. « Je les sensibilise à protéger la mangrove », dit-elle. La rupture est nette avec leurs parents et grands-parents qui, à l’époque, coupaient les racines des palétuviers pour récolter les huîtres sauvages.
Réseau de femmes
La biosphère du delta du Saloum – 330 000 hectares dont 60 000 hectares de mangrove – contraste avec la semi-aridité qui prédomine dans le reste du pays, la Casamance mise à part. On y trouve des labyrinthes de bolongs (chenaux d’eau salée), 126 espèces de poissons, des hyènes qui rôdent à la tombée de la nuit, des crustacés et une grande variété d’oiseaux. Durant la saison des pluies, la verdure y est saisissante.
Un temps en danger, l’écosystème des palétuviers se porterait mieux aujourd’hui, selon Jean Goepp, président de l’association Nébédaye, et ce grâce à la mobilisation des populations locales. Depuis 2016, l’homme a coordonné le reboisement de cinq millions de ces arbres aux racines aériennes sur lesquels poussent les huîtres. « Si l’écosystème a été sauvé, il faut maintenant le préserver », estime-t-il.
Son association, qui emploie 45 salariés et qui dispose de plusieurs antennes dans le pays, travaille auprès de 40 groupements femmes dans une trentaine de villages du delta du Saloum pour les aider à valoriser durablement leurs ressources naturelles. « Bintou a tissé des liens d’amitié avec d’autres groupements de femmes. Maintenant, elles commercent les unes avec les autres, autour du ditakh (fruit local qui se boit en jus, ndlr), du baobab, des coquillages… L’idée c’est de créer un réseau entre les îles enclavées et les villages sur la terre ferme », poursuit Jean Goepp.
L’association sensibilise également les enfants à l’environnement et participe à la lutte contre l’érosion côtière qui ronge les côtes du Siné Saloum. Elle est financée en partie par l’Union Européenne.
Dans le delta du Saloum, d’autres acteurs financés par de grosses institutions comme la Banque Mondiale mènent des projets pour développer le maraîchage, reboiser la mangrove (qui permet aussi de capturer et d’emmagasiner le carbone) et planter des arbres (l’équivalent de 300 terrains de football sont déforestés tous les jours dans le pays).
Côté Mboga Yaye, on travaille sur un ambitieux projet qui devrait aboutir en novembre : l’ouverture d’un restaurant communautaire. « On va proposer des balades en pirogue aux touristes pour qu’ils découvrent les palétuviers, le parc ostréicole, puis ils pourront déguster de délicieuses huîtres fraîches », s’enthousiasme Bintou Sonko. Un second restaurant devrait être ouvert par un autre groupement de femmes, au village de Soucouta, dans le delta du Saloum. Selon Jean Goepp, « Soutenir les femmes, c’est soutenir la famille, le village et donc le pays tout entier ».